Dans Récit d’enfance : leur passé d’aujourd’hui, nous partons à la rencontre de personnes pour les questionner sur leur enfance et leur éducation. Au travers de six questions simples, nous avons interrogé plusieurs dizaines d’hommes et de femmes. L’occasion, à chaque entretien, de découvrir le passé de l’invité et son influence sur son présent.
Aujourd’hui, nous rencontrons Simone – 90 ans. Elle nous délivre sa situation durant la deuxième guerre mondiale : elle a fui avec sa famille pour aller se réfugier dans une ferme durant de longs mois à cause de son père qui était communiste. Elle nous raconte aussi sa complicité avec sa grand-mère ou encore l’importance de sa scolarité.
Les entretiens sont retranscrits dans leur intégralité : nous avons pris le parti de conserver les mots choisis par les narrateurs… et parfois leur franc-parler !
Simone – 90 ans
5 mots : Quels sont les cinq mots qui décrivent votre enfance, et pourquoi ?
J’étais la deuxième d’une famille de cinq enfants. Les parents de ma mère étaient très souvent avec nous, car ma mère travaillait beaucoup. J’étais plus proche de ma grand-mère que de ma mère : je peux donc dire grand-mère pour le premier mot.
J’ai eu une bonne éducation. Je travaillais pas mal à l’école. J’ai fait des études.
Qu’est-ce qu’il y a eu dans mon enfance… Il y a eu la guerre bien sûr. Mon père était communiste. Évidemment, durant la guerre, il a dû se cacher puisque les Allemands arrêtaient les communistes. On a dû prendre la fuite. Autrement, ils auraient aussi arrêté mes frères et moi. Ils nous auraient mis dans des camps. Mon père n’a pas été capturé. Un de ses copains est venu prévenir ma mère, afin de lui dire qu’il ne fallait pas qu’il rentre à la maison, et ainsi, échapper aux Allemands.
Je me suis retrouvée à la campagne, dans une ferme. J’ai appris à traire les vaches ! Je n’avais pas du tout l’habitude de faire ça, mais, étant donné que la famille du fermier nous accueillait gentiment, il fallait bien qu’on leur rende un peu des services. On les a aussi aidés à faire la moisson.
Regret : Est-ce qu’il y a une chose que vous auriez voulu changer à votre enfance ?
Un peu plus tard, je me suis mariée. J’ai eu deux enfants : une fille et un garçon. Une fille qui est loin, mais de qui je suis très proche. Elle habite en Allemagne. Mon fils est proche géographiquement, mais nous sommes loin l’un de l’autre sentimentalement. Il habite la rive gauche de Rouen, mais je ne le vois pas. C’est peut-être cela mon regret.
Éducation : Quelle critique positive et/ou négative pouvez-vous faire de votre éducation ?
Mon éducation était plutôt positive. J’apprenais bien à l’école. Je me souviens que j’étais la première de ma classe. Tous les mois, il y avait un classement. Un jour, je fus devancée par une de mes camarades. J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps tellement j’étais déçue. En rentrant chez moi, je pleurais comme une Madeleine. Ma mère me disait :” mais qu’est-ce que t’as ? Qu’est-ce que tu as ! “. Je n’arrivais pas à lui dire la raison. Finalement, je lui ai dit en pleurnichant :” je ne suis pas la première ! “. Elle m’a juste rétorquée :” Mais qu’est-ce que cela peut te foutre ? Tu n’es pas la première, mais t’es la deuxième.”
Je n’ai pas commencé à travailler à quatorze ans, comme la plupart des enfants de l’époque. J’ai pu poursuivre mes études, mais elles ont été interrompues par la guerre.
C’est ma grand-mère qui nous a élevés. Ma mère s’est mariée à dix-huit ans. À vingt-et-un ans, elle avait déjà trois enfants. Je ne sais pas comment elle aurait fait sans sa maman. Ma mère a été mère avec ses deux derniers enfants, car là, elle avait l’âge et la maturité. Je n’avais aucune complicité avec ma mère, et encore moins avec mon père.

Personnalité : Y a-t-il un trait de votre caractère qui est une conséquence de votre vécu durant votre enfance ?
Je ne saurais répondre à cette question. Je ne sais pas quel trait de mon caractère provient de mon enfance…
Vous avez dit tout à l’heure que vous aviez fait des études, mais quel métier avez-vous choisi de réaliser ?
Grâce à un monsieur qui était présent à la ferme avec nous lors de notre fuite, j’ai pu rentrer dans le trésor public, car il y travaillait. Comme on dit, je suis rentrée dans ce métier par la petite porte. J’ai tout d’abord été auxiliaire temporaire, puis j’ai gravi les échelons en passant les concours… À la fin, je fus perceptrice. Ce n’était pas ma vocation, mais c’est dû au hasard. De toute façon, je n’avais pas beaucoup de vocation, donc cela me convenait. J’avais arrêté mes études en première, et j’ai voulu, une fois la guerre finie, commencer à travailler : j’ai sauté sur cette opportunité.
Vous étiez donc plusieurs familles à se réfugier dans cette ferme. Comment vos journées se passaient-elles ? Quelle ambiance régnait entre vous ?
Il y avait toutes sortes de gens. Le fermier était résistant. Je ne savais pas à l’époque, j’étais jeune. Il cachait des gens chez lui, des aviateurs anglais qui tombaient dans les campagnes : il y avait tout un réseau. Il les récupérait, les cachait dans des granges.
Un jour, les Allemands arrivèrent. Nous fûmes tous alignés contre la grange : ils cherchaient un aviateur Anglais qui était tombé dans les environs. Le gars était tellement bien caché par le fermier qu’ils ne l’ont pas retrouvé. Le monsieur était blanc comme un linge. Ils auraient pu tous nous tuer. Je ne savais pas que l’aviateur était là, mais il y était et bien planqué !
Après la guerre, j’ai retrouvé l’ensemble de ma famille, et malheureusement, j’ai perdu contact, au fil du temps, avec la famille qui nous avait accueillis.
Transmission : Quelles choses pensez-vous avoir transmis à vos enfants de votre propre éducation et lesquelles sont différentes ?
Vous savez, les enfants ont leur caractère propre : mes enfants ont été élevés de la même façon, mais ils sont tout à fait différents.
Je ne vois plus mon fils et très peu ma fille, car elle s’est mariée avec un Allemand : elle a eu deux enfants, on s’entend toutes les deux très bien. Pour je ne sais quelle raison mon fils est fâché contre moi. Je lui ai demandé pourquoi, il m’a dit que je n’avais qu’à réfléchir, et que je le saurais. Même en y réfléchissant, je ne trouve pas la raison. Cela en est resté là. On ne s’adresse plus la parole.
Je sais qu’il a très bien réussi sa vie, qu’il a une très bonne situation, car il était très bon élève. Étant donné que je travaillais dans le trésor public, lui aussi y est rentré grâce à moi. Cependant, je crois qu’il voulait être professeur d’histoire. Il a fait ça une année, mais il ne pouvait pas supporter les mômes. Un jour, il en a carrément giflé un.
Je lui ai dit que s’il ne pouvait pas les supporter, il valait mieux qu’il arrête : c’est ce qu’il a fait, il m’a rejoint.
Sa passion pour l’histoire vient sûrement de moi, car j’adorais ça aussi, donc j’ai dû lui transmettre un petit peu. Ma fille était moins dans ça. Elle, c’était les langues. Elle voulait être hôtesse de l’air et elle avait réussi les premières étapes, mais pour être reçu, il fallait qu’elle améliore son allemand, elle est donc allée en Allemagne, chez une de ses amies. Là-bas, elle a trouvé son mari, et elle n’a pas poursuivi sa formation. La vie est quelques fois bizarre.
Anecdotes : Avez-vous un souvenir, une anecdote de votre enfance à raconter ?
Je me souviens que j’adorais le chocolat. Ma grand-mère en achetait, et pour qu’on ne les vole pas, elle les enfermait dans une armoire. Cependant, j’avais réussi à l’ouvrir sans l’aide des clefs : je passais une petite lame et j’y avais accès. Elle ne comprenait pas pourquoi il n’y avait plus de chocolat alors que sa clef ne bougeait pas de l’endroit où elle la mettait.
Vous avez beaucoup parlé de votre grand-mère, mais qu’en est-il de votre grand-père ?
Lui aussi était adorable ! Il était beau ! Ses yeux étaient d’un bleu très clair. Il était du nord. Il était beau et gentil. Quand on était gamins, il nous faisait faire le tour de la maison en nous portant, ma sœur et moi sur son dos.
Ils auraient pu être nos parents… Dix ans après avoir eu les trois premiers, ma mère a eu deux autres enfants. À dix-huit ans, on n’a pas l’âge d’être mère. Heureusement qu’elle a eu sa mère pour la seconder.
Pour le mot de la fin, je dirais que je ne regrette rien : si c’était à refaire, peut-être que ce serait pire… Je sais que mon père n’aimait pas mon mari, mais il n’avait pas à l’aimer, j’avais fait mon choix. Il y a quelques années, mon mari : qui avait dix ans de plus que moi est décédé. Je me suis retrouvée à vivre toute seule dans une grande maison.
Un soir, je suis tombée de mon lit, car j’ai fait un cauchemar. Je suis restée par terre un long moment, je n’arrivais plus à me relever. Vu que je n’avais pas grand-chose sur le dos, j’ai attrapé la crève par terre. J’ai dû être hospitalisé et m’a fille m’a dit que je ne pouvais plus rester toute seule et que je devais venir en maison de retraite, c’est pour cela que je suis ici…
Pour aller plus loin :
L’entretien a été réalisé en partenariat avec Notre passé d’aujourd’hui, projet qui porte des valeurs semblables à celles d’Entoureo.
Dans le cadre de son projet de livre en cours d’écriture depuis 2018, intitulé Notre passé d’aujourd’hui, Rosemitha Pimont, âgée de 20 ans, a réalisé une centaine d’interviews pour recueillir une multitude d’histoires de vie. Son objectif est de raviver, à travers six questions, les souvenirs de notre enfance, les caractéristiques de notre éducation, afin de voir l’impact de notre passé sur notre personnalité, notre présent.
Les personnes interviewées sont âgées de 15 à 101 ans, proviennent des quatre coins du monde et sont de milieux socioculturels divers. Une émission de radio sous le nom de Notre passé d’aujourd’hui, issue du même projet, est déjà disponible.