Un bureau en bois sur lequel se trouve un microphone

Récit d’enfance : Leur passé d’aujourd’hui – Françoise H.

Dans Récit d’enfance : leur passé d’aujourd’hui, nous partons à la rencontre de personnes pour les questionner sur leur enfance et leur éducation. Au travers de six questions simples, nous avons interrogé plusieurs dizaines d’hommes et de femmes. L’occasion, à chaque entretien, de découvrir le passé de l’invité et son influence sur son présent.

Aujourd’hui, nous rencontrons Françoise H. – 93 ans. Elle nous raconte l’exode de sa famille durant la Seconde Guerre mondiale, son attrait pour le rapport aux autres et l’ambiance de la vie d’une famille de sept enfants.

Les entretiens sont retranscrits dans leur intégralité : nous avons pris le parti de conserver les mots choisis par les narrateurs… et parfois leur franc-parler !

Françoise H. – 93 ans

5 mots : Quels sont les cinq mots qui décrivent votre enfance, et pourquoi ?

Ouverte. Aucun sectarisme. Ni religieux. Ni politique. Mes parents souhaitaient que cela soit comme ça, et on a intégré cette manière de vivre. Cela m’a servi toute ma vie.

Heureuse. Je viens d’une famille nombreuse. On était sept enfants.

Agriculteur. Ma mère était la fille d’un petit agriculteur du Massif Central. Mon père était aussi fils d’un petit agriculteur, mais de l’Eure. Il avait une intelligence au-dessus de la moyenne.

Joyeuse. Mon éducation était très positive. Très franche. Assez stricte, mais joyeuse. Il y avait tout le temps de la vie à la maison. On était bien occupés. Je ne faisais pas de sport pour une raison précise.

Maladie. C’est pour éviter de développer des maladies pulmonaires que je ne faisais pas d’activités physiques. J’avais des problèmes de santé à ce niveau-là.

Regret : Est-ce qu’il y a une chose que vous auriez voulu changer à votre enfance ?

   J’aurais voulu changer les colères de mon père. Les personnes en colère sont toujours effrayantes. C’était un de ses traits de caractères. La colère est différente de l’énervement. Certes, il ne s’énervait pas souvent, mais lorsque cela arrivait cela me faisait très peur.

Éducation : Quelle critique positive et ou négative pouvez-vous faire de votre éducation ?

Sur le moment, tout ce que l’on m’a fait faire ou demandé, ou appris, me paraissait normal. Mon éducation a été marquée par la présence de mon frère qui n'avait que dix-huit mois de plus que moi : j’ai donc tout fait avec lui. J’ai même tout appris avec lui. Il a énormément compté pour moi.

Je ne retiens que du positif de mon éducation. On a appris l’honnêteté parfaite, la rigueur dans la morale.

J’étais aussi proche de ma mère que de mon père, mais pas de la même façon. J’étais proche de ma mère dans la vie quotidienne, tout ce qui touche à la vie pratique. Avec mon père, c’était plus dans ce qui touchait à la vie intellectuelle. Tout cela se passait comme quelque chose de normal, de classique.

À table, tout le monde parlait. Les enfants n’étaient pas interdits de parole, comme il pouvait se produire ailleurs. On discutait avec nos parents. Ils étaient ouverts.

Qu’avez-vous retenu de la Seconde Guerre mondiale ?

Durant la période de la guerre, on a appris à être plus stricts, à économiser tout ce qui se mangeait. On a appris la valeur de la nourriture.

J’ai connu des résistants. Mon père était pharmacien. Il a pris comme employé un jeune homme qui n’aurait pas dû être là : il l’a pris pour le protéger.

J’ai connu l’exode très tôt. Mon père avait prévu qu’il y aurait un flot de personnes qui souhaiterait partir. Ainsi, il nous a fait partir assez vite. C’est ma mère qui nous a conduits pour notre changement d’habitation, car mon père était mobilisé. C’était une femme très avancée pour son époque. Elle conduisait depuis très longtemps. On est partis de chez nous dès le début du mois de mai 1940. Nous sommes allés dans le sud-ouest, chez un ami de ma mère.

Nos journées se déroulaient comme d’habitude, on a continué à aller à l’école. Comme il n’y avait plus beaucoup d’essence, on faisait la plupart des trajets à pied. On ne faisait pas de choses extraordinaires. La vie était très resserrée, mais c’était pareil pour tout le monde. C’était la Guerre !

Au fond, mes parents étaient assez solides, on a donc hérité de cette posture, et cela nous a permis de traverser cette période.

Personnalité : Y a-t-il un trait de votre caractère qui est une conséquence de votre vécu durant votre enfance ?

Je ne pense pas que l’on puisse savoir si notre caractère est une conséquence ou non de notre vécu durant notre enfance. L’a-t-on acquis, ou l’a-t-on eu dès notre enfance, je n’en sais rien. En revanche, je sais comment les autres me perçoivent.  

Je m’aperçois qu’ici, depuis que je suis dans cette maison de retraite, il y a de nouveaux aspects de mon caractère qui se révèlent, mais mes principaux traits demeurent.

J’ai toujours eu le goût des autres, si bien que je crois que c’est pour cela que je suis devenue pharmacienne. J’aime le rapport avec les gens.

Je crois que je tiens cela de mon père. Je l’ai vu faire et je l’ai vu vivre, mais je ne m’en rendais pas compte, car c’était la vie, c’était comme ça.

Ma mère n’allait pas plus à la paroisse que les autres, cependant, elle faisait des gentilles choses chez les sœurs de Saint Vincent-Paul qui étaient dans mon quartier. J’ai vécu cela comme une chose normale, or tout cela a imprégné ma vie.

J’ai maintenant ce que j’appelle, avec beaucoup de prétention, le goût des autres. C’est vrai ! Que la personne soit femme de ménage ou une directrice, j’agis de la même façon. La vie des autres m’intéresse. Ce n’est pas de la curiosité malsaine, c’est parce qu’instinctivement, les gens m’intéressent.

Ici, je m’en aperçois encore plus, et c’est effrayant. Je connais très bien quelqu’un, qui est là depuis quatre ans, toujours dans la même chambre, qui ne connait aucun nom des personnes qui s’occupent tous les jours de lui. Je n’arrive pas à comprendre. Tout le monde n’est pas comme moi.

Si le courant ne passe pas, je ne vais pas aller plus loin. Dans le cas contraire, j’apprends vraiment à connaître la personne. Je trouve que c’est une chance, car ceux qui n’ont pas ça, trouvent que la vie est morne alors que moi, je ne m’ennuie jamais.  

Il n’y a pas que du bon dans le fait d’aimer les autres, car l’on a envie de se mêler de tout. Quand je vois quelque chose qui n’a pas l’air d’aller chez quelqu’un, même si je ne suis pas du tout concernée, je me dis que je ne peux pas rester indifférente.

Je suis quelqu’un de sensible aussi. Enfin, je le suis plus depuis que je suis ici. Dans mon enfance, je ne l’étais pas trop : j’étais souvent avec mes frères, donc je n’avais pas développé ma sensibilité, je ne l’avais pas vécue par personne interposée : j’ai toujours joué avec des garçons, mon frère m’a toujours emmené partout avec lui. Cela a dû forger un peu mon caractère.

Puis, lorsque j’ai eu ma première relation, je n’étais pas du tout amoureuse du garçon. Je n’étais pas amoureuse de mon premier amour. J’avais été un peu dur à cuire avec lui.

Je suis toujours en sincérité maximum avec les gens. Je ne dis pas le négatif si ce n’est pas nécessaire, mais si cela l’est, je le dis. J’essaie de le dire gentiment, mais ce n’est pas toujours un succès parfait, car je n’ai pas de patience, donc quelques fois, c’est un peu plus sec que ce que je pensais. Je dis les choses. Je crois que je suis comme ça.

Transmission : Quelles choses pensez-vous avoir transmis à vos enfants de votre propre éducation et lesquelles sont différentes ?

  Je pense avoir transmis l’honnêteté à mes deux enfants. Mon fils était super honnête. Il était chirurgien-dentiste : dans ce métier, nombreux sont ceux qui n’ont pas cette qualité. Il est facile de faire une couronne à un patient, alors qu’il n’en a pas forcément besoin. Cela rapporte beaucoup, et de toute façon, les gens sont obligés de vous croire. Vous êtes le maître à bord.

Mon fils est mort il y a quelques mois… J’ai beaucoup de mal à tourner cette page. C’est normal que je n’y arrive pas, mais c’est difficile. Heureusement, j’ai la chance d’avoir une belle-fille épatante, avec laquelle je m’entends très bien.

Je ne pense pas que mes enfants ont eu une éducation plus difficile que la mienne.

Au niveau de la religion, j’avais reçu une éducation mixte : une partie religieuse grâce à ma mère, et un côté athée avec mon père, bien qu’il ait reçu une éducation religieuse comme presque tous les Français vivant à la campagne. J’ai donc eu la liberté de choisir. J’étais un libre-penseur. Je comprenais qu’on puisse pratiquer ou ne pas pratiquer une religion. Je comprenais aussi les personnes qui étaient contre la religion, car moi-même, je suis contre certaines choses. J’avais une grande ouverture d’esprit et je pense l’avoir transmise à mes enfants.

Je pense leur avoir également transmis mon rapport aux autres. D’ailleurs, mon métier m’a appris une chose : lorsqu’on montre aux gens que l’on est prêt à les écouter, lorsqu’ils ressentent que vous ne les jugez pas, alors ils vous racontent les choses. Au fond, ils n'attendent que cela.

Anecdotes : Avez-vous un souvenir, une anecdote de votre enfance à raconter ?

   Je n’ai pas une anecdote particulière à raconter, cependant j’ai envie de te partager une connaissance. J’ai entendu dire qu’une façon de bien vivre, c’est que tous les soirs, avant de s’endormir, il faut avoir trouvé un moment heureux dans la journée que l’on vient de passer. C’est-à-dire qu’avant de se coucher, il faut rentrer dans le positif. C’est facile, de tout critiquer, de voir le monde avec des lunettes noires : il n’y a rien de plus déprimant, de plus déstructurant.

Je me suis fait une espèce de jeu : j’essaie de faire sourire les gens autour de moi qui sont rabougris. Dans mon couloir, il y a une personne comme ça. Devinez quoi, j’ai réussi à la faire esquisser un sourire sur son visage. Puisque j’ai réussi à la faire sourire une fois, ce n’est pas systématique, mais maintenant, elle me sourit bien plus facilement. Je suis contente d’avoir pu réussir. Je n’arrive pas à comprendre les gens qui sont complètement figés et qui ont un regard qui vous rentre dedans.

Il y a un monsieur dans mon couloir, qui souffre de la maladie du Parkinson : il l’a eu dès l’âge de trente ans, chose qui est très rare. Mon père est mort de cette maladie, cependant à l’époque, c’était autre chose : c’était plus méconnu, on n’avait pas encore vraiment de traitements. En revanche, une chose qui demeure, c’est que les gens sont conscients de leur état, jusqu’à leurs derniers instants.  

Sachant cela, comme il ne peut pas bouger, il reste dans son fauteuil toute la journée, je vais souvent lui dire un petit bonjour, lorsque je passe devant sa chambre. Je lui dis “ah bah vous voilà, ça va ?”. Tout en lui posant ma main sur la sienne… Vous verriez son regard… Ce n’est pas possible… Le contact de personnes à personne compte pour eux. C’est quelque chose que j’ai appris une fois arrivée dans cette maison de retraite.

Pour le mot de la fin, j’ai envie de dire Amen. Plus sérieusement, je crois de plus en plus aux valeurs intérieures. Je ne crois pas à une religion particulière, je me détourne de celles qui excluent une partie des gens.

Comme l’a dit notre Pape François, le premier commandement de Dieu, ferait peut-être mieux d’être “aimez-vous les uns les autres”. Croire en Dieu, c’est très bien, cependant ce n’est pas donné à tout le monde, cela dépend de l’éducation que l’on a reçue. S’aimer les uns les autres devrait être la base de la vie : le reste n’a presque pas d’importance. Le côté humain des choses est important. Si on appliquait cette règle, de nombreux problèmes seraient réglés. Prenez soin de vous et des autres…

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Pour aller plus loin :

L’entretien a été réalisé en partenariat avec Notre passé d’aujourd’hui, projet qui porte des valeurs semblables à celles d’Entoureo.

Dans le cadre de son projet de livre en cours d’écriture depuis 2018, intitulé Notre passé d’aujourd’hui, Rosemitha Pimont, âgée de 20 ans, a réalisé une centaine d’interviews pour recueillir une multitude d’histoires de vie. Son objectif est de raviver, à travers six questions, les souvenirs de notre enfance, les caractéristiques de notre éducation, afin de voir l’impact de notre passé sur notre personnalité, notre présent.

Les personnes interviewées sont âgées de 15 à 101 ans, proviennent des quatre coins du monde et sont de milieux socioculturels divers. Une émission de radio sous le nom de Notre passé d’aujourd’hui, issue du même projet, est déjà disponible.


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