Un bureau en bois sur lequel se trouve un microphone

Récit d’enfance : Leur passé d’aujourd’hui – Paul

Dans Récit d’enfance : leur passé d’aujourd’hui, nous partons à la rencontre de personnes pour les questionner sur leur enfance et leur éducation. Au travers de six questions simples, nous avons interrogé plusieurs dizaines d’hommes et de femmes. L’occasion, à chaque entretien, de découvrir le passé de l’invité et son influence sur son présent.

Aujourd’hui, nous rencontrons Paul – 101 ans. Ce centenaire littéraire et musicien nous raconte son enfance dans un milieu de petit bourgeois où son éducation était à la fois laxiste et contraignante. Ce romantique nous confie un de ses regrets en tant que père et nous décrit ses hallucinations.

Les entretiens sont retranscrits dans leur intégralité : nous avons pris le parti de conserver les mots choisis par les narrateurs… et parfois leur franc-parler !

Paul – 101 ans

5 mots : Quels sont les cinq mots qui décrivent votre enfance, et pourquoi ?

Une enfance heureuse, favorisée… Mon père était horloger. On faisait partie de la petite bourgeoisie. On était trois enfants, mais il y avait une grande différence d’âge entre nous et cela a eu son importance. J’avais onze ans d’écart avec l’un de mes frères. J’étais le petit dernier.

Il y a l’amour. L’amour des parents. Ma mère m’aimait beaucoup. Mon père était un peu indifférent. Il avait de l’affection pour moi, mais il ne le montrait pas forcément, ce n’était pas très profond.

Mes parents nous gâtaient beaucoup : j’avais énormément de jouets. Leur affection passait par le matériel.

Regret : Est-ce qu’il y a une chose que vous auriez voulu changer à votre enfance ?

J’aurais voulu changer quelque chose dans l’éducation que j’ai reçue. Elle n’était pas mauvaise, mais elle aurait pu être mieux. Elle était à la fois laxiste et contraignante. Les contraintes étaient dues à la façon d’élever de l’époque. Je suis né en 1916 vers la fin de la bataille de Verdun.

Vous n’avez pas réellement connu la Première Guerre Mondiale, mais avez-vous fait la deuxième ?

Non. J’ai été disons préservé sans le vouloir. J’étais amoureux. Je n’ai été ni soldat, ni résistant, ni collabo. Vraiment neutre. J’avais rencontré à cette époque une femme de qui je suis tombé tout de suite amoureux. On s’est mariés puis on a eu deux enfants.

Éducation : Quelle critique positive et/ou négative pouvez-vous faire de votre éducation ?

On ne me mettait pas suffisamment en valeur à la maison. J’étais gâté, mais pas mis en relief. À l’époque, on était assez sévère avec les enfants : il ne fallait pas faire ceci ou cela, il y avait beaucoup de règles. On était un peu bridés. Il ne fallait pas qu’on parle à table. Les contraintes n’étaient pas excessives, mais il fallait les respecter.

Dans les valeurs qui m’ont été transmises, je retiens celle du travail. Enfin, elle n’a pas été forcément bien transmise.

J’étais proche de ma mère, mais elle était tout de même exigeante. On devait faire attention à notre image, prendre soin de notre apparence. Elle était réservée et timide.

Qu’en est-il de votre cursus scolaire ?

Je n’ai rien à reprocher à mon encadrement scolaire, j’ai eu une bonne formation. D’ailleurs, après, je suis rentré dans l’éducation nationale, car je suis devenu professeur de lettres. J’ai fait ça toute ma carrière.

Cela me plaisait, m’attirait. Ce n’était pourtant pas le milieu de mes parents, c’était différent. J’avais une attirance pour la littérature et la musique. Je jouais du piano.

Dans cette maison de retraite, il y en a un, et j’en joue quelques fois. Malheureusement, je ne vois plus beaucoup, je ne peux donc pas lire une partition. Je fais appel à ma mémoire pour continuer à jouer, mais cela me limite.

Je me suis mis à jouer du piano dans mon enfance, car ma sœur en jouait et lorsque je l’entendais jouer, cela me donnait envie de faire pareil. Cela m’a donné le goût de la bonne musique et c’est tout naturellement que j’ai commencé à en jouer. C’est lorsque je suis rentré au lycée, à l’âge de douze ans, que j’ai commencé à suivre des cours.

Personnalité : Y a-t-il un trait de votre caractère qui est une conséquence de votre vécu durant votre enfance ?

J’ai une personnalité un peu complexe… Un peu d’égoïsme peut-être. Je ne m’occupe pas suffisamment des autres. J’aurais voulu laisser quelque chose d’utile derrière moi. Je n’étais pas nul, mais je n’ai pas fait grand-chose si je me compare à d’autres personnages.

J’avais aussi une envie d’écrire. J’ai des tas d’écrits, des montagnes de carnets annotés, mais je n’ai rien publié. Je n’ai rien fait, car je ne sais pas si cela en valait la peine. Je n’en suis pas sûr…

Il fallait tenter ! Sans cela, vous n’aurez jamais réponse à cette question !

Je notais tout ce que je faisais chaque jour, de façon plus ou moins détaillée. C’était surtout des éphémérides.

Mon univers était donc l’écriture, la musique. Puis l’amour aussi. Il apparait toujours lorsqu’on est jeune. J’étais un grand romantique. Peut-être un peu trop. Vous savez, cela ne mène pas forcément à l’action, je pouvais être amoureux en solitaire.

Transmission : Quelles choses pensez-vous avoir transmis à vos enfants de votre propre éducation et lesquelles sont différentes ?

J’ai le sentiment que je n’ai pas suffisamment bien éduqué mes enfants. J’ai eu une ainée fille et un garçon : ils ont deux ans d’écart. Mon fils avait une maladie mentale qui lui causait des dépressions. Il s’est suicidé vers l’âge de vingt ans. C’est une chose irréparable.

Je ne leur ai pas suffisamment transmis de valeurs positives. J’ai dit que j’étais égoïste, et cela se répercutait aussi sur mes enfants, car je cherchais avant tout mon plaisir. Je n’ai pas assez veillé à leur éducation. Ma femme était éducatrice, s’occupait des enfants à l’hôpital, et pourtant nous n’avons pas assuré pleinement notre rôle. Enfin, c’est surtout moi qui ne fus pas un bon père. Je n’ai pas été assez compréhensif avec mon fils malgré sa maladie, son état d’esprit.

Il était plus tourné vers les sciences : il adorait les animaux, la nature, il aurait probablement fait carrière là-dedans. J’ai transmis la passion du piano à ma fille : elle n’est pas musicienne, mais elle en joue très bien.

Avez-vous voyagé avec eux ?

Lorsque l’automobile a commencé à se généraliser, on a commencé à voyager. On est surtout allés en Europe. Nous sommes allés beaucoup en Grèce, car j’aimais beaucoup ce pays. On a beaucoup moins voyagé que votre génération, mais c’était pas mal pour l’époque.

Anecdotes : Avez-vous un souvenir, une anecdote de votre enfance à raconter ?

Je me souviens que mon père avait des crises d’épilepsie et ça a eu des répercussions sur mon enfance. Il pouvait avoir ses crises la nuit, mais aussi durant le jour. Un jour, alors qu’il travaillait dans son magasin et que je l’accompagnais, dans une pièce à côté, il a tout d’un coup poussé un cri et il est tombé. Cela m’a terrorisé ! Ces crises pouvaient arriver un peu n’importe quand, et j’ai assisté à plusieurs contre mon gré.

Par la suite, j’ai aussi eu cette maladie. Cela s’est à peu près terminé, mais j’ai quelques fois des hallucinations. Par exemple, ces jours-ci, j’en ai. Pendant le cours de la nuit, je vois un homme et une femme qui, devant moi, passent tranquillement. Je ne sais pas dans quel but ils sont là. Ils passent juste. Ce ne sont pas des personnes distinctes, juste des ombres. Ils se parlaient.                                                                                                          

Les crises d’épilepsie ont cessé assez rapidement, mais les hallucinations datent de très récemment. Elles se produisent surtout le matin et dans la nuit, cela m’empêche de dormir. Cela a toujours un aspect inquiétant et c’est très proche du réel. C’est purement imaginaire. Cependant, du point de vue religieux, on peut comprendre pourquoi certains saints ont pu y croire. Les visages et les voix sont d’une exactitude effarante.

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Pour aller plus loin :

L’entretien a été réalisé en partenariat avec Notre passé d’aujourd’hui, projet qui porte des valeurs semblables à celles d’Entoureo.

Dans le cadre de son projet de livre en cours d’écriture depuis 2018, intitulé Notre passé d’aujourd’hui, Rosemitha Pimont, âgée de 20 ans, a réalisé une centaine d’interviews pour recueillir une multitude d’histoires de vie. Son objectif est de raviver, à travers six questions, les souvenirs de notre enfance, les caractéristiques de notre éducation, afin de voir l’impact de notre passé sur notre personnalité, notre présent.

Les personnes interviewées sont âgées de 15 à 101 ans, proviennent des quatre coins du monde et sont de milieux socioculturels divers. Une émission de radio sous le nom de Notre passé d’aujourd’hui, issue du même projet, est déjà disponible.


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